Portrait Anne-Fraçoise Bidault

Interview d’Anne-Françoise Bidault, Responsable documentation LexisNexis

Portrait Anne-Fraçoise Bidault

Ce fut une rencontre rare, une de celle qui pour longtemps vous marque. Comme beaucoup, nous avions régulièrement des contacts professionnels par téléphone avec Anne-Françoise Bidault, la documentaliste des éditions LexisNexis et nous nous doutions que derrière la voix toujours accueillante et le service parfait se cachait une personnalité exceptionnelle. Nous n’avons pas été déçus.

En souhaitant la rencontrer pour faire son portrait avant son départ à la retraite nous voulions aussi mettre en avant une fonction pour nous capitale, mais qui malheureusement disparaît, celle de bibliothécaire / documentaliste chez un éditeur juridique

L’interview a été réalisée sous la forme d’une longue discussion à bâtons rompus avec une foule d’anecdotes pas facile à retranscrire d’autant plus que nous n’avons pas enregistré nos échanges.

Pas facile non plus de résumer presque 30 ans de métier, nous en savons quelque chose nous-mêmes qui exerçons ce métier depuis pas mal d’années également !

Ci-dessous notre tentative de retranscription qui nous l’espérons vous permettra d’en savoir plus sur la fonction de documentaliste juridique chez un éditeur et sur la personnalité de Mme Bidault.

Interview réalisée par Carole Guelfucci et Benoît Bréard.

Formation et parcours professionnel avant d’arriver chez Lexis, circonstances de l’entrée chez Lexis

Anne–Françoise, qui a une maîtrise de droit privé option notarial, se destinait à travailler dans le notariat. Après trois années d’expérience comme clerc de notaire en province, elle s’installe à Paris où elle devient correctrice à domicile pour l’éditeur Lamy.

En 1990, elle rejoint les Editions du Juris-classeur pour la « révision au fond » sur la base de six heures par jour, puis à plein temps. Il s’agit alors de vérifier que ce qu’a écrit l’auteur « tient la route » et de vérifier les références utilisées.

Peu de temps après, la bibliothécaire de l’époque, qui a 62 ans, prend sa retraite. L’éditeur propose à Anne-Françoise de prendre la relève. Elle accepte volontiers le poste de bibliothécaire juridique. Elle entre en fonction le 1er avril 1991.

Les locaux de l’éditeur se trouvaient à l’époque au 18 rue Séguier, à Paris dans le 6ème arrondissement entre le Palais de Justice et les deux universités Paris I et Paris II. L’entreprise occupe un hôtel particulier dont la bibliothèque se trouve tout au fond du jardin : « un endroit de rêve mais très mal foutu ! » où il lui est même arrivée de croiser le chemin d’une cane et de sa portée de canetons. Le fonds documentaire dans la bibliothèque même est alors assez réduit, quelques Recueil Dalloz, 50 livres mais le journal officiel « depuis toujours », là ; tous les autres livres et revues sont répartis sur 4 et 3 étages par matière dans deux immeubles indépendants sans ascenseur ! Les services commerciaux de l’éditeur ainsi que le notariat et Juris-Data se trouvent rue d’Alésia et d’autres services éditoriaux sont dispersés dans Paris. La bibliothèque est alors une sorte de point d’ancrage, notamment pour les auteurs, qui s’y donnent rendez-vous.

En 1992, Lexis est revendu à Reed-Elsevier.

En 1993, l’éditeur choisit de nouveaux locaux rue de Javel dans le 15ème arrondissement de Paris avec l’idée dans un premier temps de supprimer la bibliothèque.

Finalement, après intervention des directeurs scientifiques, J. Béguin, P. Catala et F. Terré,  le déménagement de la bibliothèque aura lieu à la Toussaint de l’année 1994, soit environ 1000 cartons de papier à déménager et à stocker à l’entresol qui a dû être renforcé pour les accueillir. Les différents services de l’éditeur sont enfin réunis sur un site unique.

Après avoir compté jusqu’à 3 personnes dans ce service (2 bibliothécaires et 1 secrétaire), Anne-Françoise exerce seule depuis le début des années 2000.

Bibliothèque de l'éditeur LexisNexis

Bibliothèque de l’éditeur LexisNexis

Panorama des activités

Voici quelques-unes des activités liées à la fonction de documentaliste d’un éditeur juridique. Il s’agit d’un très bref aperçu car la liste complète de ses tâches, non achevée au moment de l’entretien, nécessite un document de plus de trente pages:

  • accueil des auteurs et des éditeurs,
  • enregistrement et classement des ouvrages, base documentaire PMB installée en interne,
  • enregistrement des revues, scan des sommaires, diffusion à une liste de destinataires (auteurs et éditeurs),
  • mise à jour des collections maison et concurrence (l’agent classeur de la bibliothèque c’est elle !),
  • gestion du budget (environ 200 000 euros d’abonnements),
  • dépôt légal des livres, du numéro 1 des revues, des mises à jour papier et des supports numériques (initialement disquettes, puis DVD et cédéroms, aujourd’hui clés USB). Le contenu de la collection des Juris-classeur se trouve ainsi sauvegardé sur 4 clés USB par an (2 exemplaires de chaque produit sont envoyés à la BNF dans le cadre du dépôt légal, avec un imprimé détaillé). Dépôt légal global où il faut fournir un récapitulatif annuel de toutes les parutions pour chaque revue et chaque collection sur feuillets mobiles avec un imprimé détaillé à remplir.
  • dotations internes pour les éditeurs qui font une sélection d’ouvrages maison,
  • recherches pour les auteurs, les éditeurs, les clients; les recherches des clients portent souvent sur des références fausses ou introuvables comme par exemple de la jurisprudence juris-data antérieure à 1980,
  • préparation de dossiers documentaires ponctuels pour des auteurs,
  • reliure des revues de l’éditeur (Relieur Houdart Paris),
  • archivage en province dans des entrepôts.

L’anonymisation des décisions de justice est externalisée.

Le service documentation n’a pas accès aux bases de données des autres éditeurs en dehors de Lamyline qui représente 25% du montant annuel des abonnements mais compense ce montant en proposant le papier avec 70 % de réduction !

Evolution du métier

Pour Anne-Françoise, et ce n’est pas une surprise, l’évolution majeure du métier c’est son informatisation.

La collaboration avec les éditeurs, les auteurs, les clients

D’après Anne-Françoise : « une bibliothécaire qui travaille dans son coin ne fait pas son boulot ! »

La bibliothèque accueille les auteurs maison, les professeurs, les magistrats, les doctorants, les agrégatifs. Les utilisateurs apprécient de venir y travailler. C’est aussi un lieu de rencontre entre auteurs avec une savoureuse tradition, celle du gâteau fait maison apporté par Anne-Françoise le lundi matin. Les auteurs sont chouchoutés !

Anne-Françoise définit son métier comme un métier de service, d’aide et de rencontres. Un poste où il faut être très humble tout en sachant que la reconnaissance interne n’est pas forcément à la hauteur de l’investissement.

Quelques réalisations

Anne-Françoise nous a notamment parlé d’une classification maison des ouvrages adaptée d’après la classification DEWEY.

Les ouvrages ne sont pas en accès libre et ne font pas l’objet de prêt (« par expérience, un livre prêté est un livre perdu »). Il y a deux copieurs pour la bibliothèque.

La bibliothèque dispose d’une très belle collection de Mélanges.

Des anecdotes de recherches marquantes

Anne-Françoise nous a évoqué de nombreuses anecdotes, notamment de belles rencontres professionnelles et personnelles qu’elle a pu faire dans sa carrière avec certains auteurs ou professeurs de droit qui sont devenus comme des amis ou de la famille proches.

Le Professeur Jean-Philippe LÉVY, grand historien du droit entre autres, lui a, un jour de grande chaleur, fait cette charmante demande : « Puis-je ôter ma veste car il fait un peu chaud ? ».

Certains auteurs qui exercent encore leur métier à plus de 80 ans ne tiennent qu’avec la lecture de la documentation qu’elle leur fournit. S’ils arrêtent, ils meurent. On peut dire qu’ils sont sous « perfusion documentaire. »

Elle a longuement évoqué l’ouvrage publié à compte d’auteur de Philippe Durieux, le roman des Editions Techniques, qui, malheureusement, n’est pas disponible.

Voir l’hommage en accès libre sur internet à Philippe Durieux par Philippe Simler et François Terré. Cet hommage retrace très rapidement l’histoire de Lexis à travers la vie de Philippe Durieux, Président des Éditions Techniques – aujourd’hui LexisNexis France – de 1968 à 1992, décédé le 10 mars 2018.

La morale de l’histoire

D’un métier qu’elle a découvert à 35 ans par hasard, tout en sachant qu’elle ne se considérait pas comme étant particulièrement méthodique, elle a fait une passion alliant méthode, rigueur, professionnalisme et empathie.

Celle qui se voyait bien embrasser le métier d’infirmière, aura pendant toute sa carrière de documentaliste juridique tenu quelques auteurs sous « perfusion documentaire », donnant beaucoup d’importance à la relation humaine. Par son côté « maternel » et aux petits soins pour les auteurs, les éditeurs, les clients, elle ne s’est pas éloignée de sa vocation d’origine.

Son témoignage souligne une fois de plus que le métier de documentaliste juridique, qui est un métier de l’ombre, « au service de », reste un rouage essentiel de toute entreprise, que l’on parle de cabinet d’avocats ou d’éditeur juridique.

La question de son remplacement a bien sûr été posée par nous et Mme Bidault sera en principe remplacée, si la lettre est bien respectée qu’en sera-t-il de l’esprit. C’est une question à laquelle les nombreux utilisateurs de ses services aimeraient avoir une réponse. Comme tous les éditeurs Lexis communique beaucoup, alors pourquoi ne pas le faire à propos de ce changement majeur, cela montrerait aux yeux de tous l’importance qu’il attache à ce service que Mme Bidault a porté, pour le plus grand bénéfice de Lexis, à un si haut niveau d’excellence.

Quelques réflexions sur la formation des jeunes avocats et des stagiaires

Comment définir la formation la plus adaptée à un jeune public et aux nouveaux outils ?

Cette thématique a été abordée lors d’un afterwork organisé par Predictice le 5 juin 2019 que je remercie pour leur initiative.

Les nombreux échanges entre les participants prouvent que c’est un sujet important car c’est l’une des principales missions des documentalistes juridiques.

Enjeux de la formation actuels

  • Infobésité,
  • Fiabilité et véracité des informations collectées, risques de perte de qualité des contenus,
  • La rareté n’est plus de mise mais il faut trouver la bonne information,
  • FOMO : Fear Of Missing Out, plus de chances de trouver l’information recherchée mais aussi plus de risques de la rater.

Profil type du jeune collaborateur / stagiaire

  • Culture Google de l’instantané et de l’immédiateté,
  • Il/Elle maîtrise moins bien les opérateurs de recherche classiques,
  • Méconnaissance du mode de recherche experte; ceci dit, le mode de recherche experte est aussi de plus en plus souvent supprimé par les éditeurs,
  • Impatience, temps de recherche réduit,
  • Méconnaissance des sources,
  • Infobésité conduisant à des difficultés à hiérarchiser l’information.

Quels types de formation proposer ?

  • Une formation en présentiel,
  • Durée entre 45 minutes et 1 heure,
  • Idéalement le jour de l’arrivée,
  • Avec des supports de formation : livret d’accueil, fiches mémo ou FAQ sur l’intranet,
  • Un chat interne à l’entreprise peut favoriser le dialogue et les questions ponctuelles,
  • Idéalement le/la documentaliste devrait pouvoir prendre la main sur le poste du collaborateur ou du stagiaire pour l’orienter dans sa recherche.

Le présentiel est indispensable mais pas suffisant. Il faut aussi penser à d’autres formes de formations comme de courtes vidéos de quelques minutes (micro-learning), des serious games ou des quiz pédagogiques.

A l’instar de ce qui se fait pour l’académie en ligne de Prédictice (en accès libre pour certains modules, sinon après inscription), on peut aussi envisager la mise en place d’un certificat de validation des connaissances (même fonctionnement que pour un MOOC). L’apprenant se sent plus investi lorsqu’il sait que ses connaissances seront évaluées.

Voir aussi le blog : https://news.predictice.com/

En savoir +

L’enquête intitulée Stages en cabinet : quelles pistes d’amélioration ? publiée sur le site du Village de la justice le 10 juin 2019 montre que les stagiaires se voient confier pendant leur stage des recherches juridiques (pour 88%) et de la veille juridique (pour 40 %) alors qu’ils s’estiment mal préparés pour 89 % avec un manque de méthodologie pour 69% d’entre eux.

L’initiative de la création d’une legaltech « Prépare ton stage avocat », projet de formation e-learning permettant de former les étudiants aux missions de base qui leur sont demandées lors d’un stage en cabinet d’avocats, prouve bien qu’il reste beaucoup à faire dans ce domaine.

Cet article liste de manière très utile, les missions confiées aux stagiaires par les avocats, les nouvelles compétences attendues ainsi que les soft skills attendues, autant de compétences qui à priori ne font pas partie du cursus universitaire juridique actuel.

Pour certaines de ces compétences, les documentalistes juridiques des cabinets d’avocats (et des bibliothèques universitaires) assurent la formation des stagiaires. On peut dire que chaque cabinet qui a un/une ou plusieurs documentalistes juridiques en poste « sauve » son petit lot de stagiaires. Quid des autres ?

Si vous avez mis en place une technique de formation innovante ou si vous souhaitez recommander un support de formation disponible librement en ligne, n’hésitez pas à me laisser des commentaires.