Cet article a été écrit sur une période de plusieurs semaines après le déconfinement.
Il vise à évoquer des pratiques documentaires qui ont été impactées par la crise sanitaire dans l’idée de savoir si ces pratiques vont perdurer par la suite.
Les tâches
Le bulletinage
Opération qui consiste en enregistrer les revues reçues, est utile lorsqu’il est réalisé au fil de l’eau mais peut vite sembler dérisoire lorsqu’il doit s’appliquer à des centaines de revues arrivées pendant nos mois d’absence. Faudra-t-il le poursuivre ?
La reliure
La reliure s’applique obligatoirement à des collections papier complètes (donc scrupuleusement bulletinées pour vérifier tout au long de l’année que rien ne manque) ; elle permet de constituer une belle bibliothèque papier. Celle-ci perd de son sens lorsqu’il est impossible d’y accéder. Avec la mise à disposition des revues en version numérique sur les plateformes des éditeurs, la reliure des collections récentes perd de son sens. Le métier de relieur juridique semble vraiment menacé sauf peut-être pour les collections historiques ou pour pallier au manque d’efficacité de certaines bases de données numériques, et encore…
L’achat d’ouvrages, les dotations
L’achat d’ouvrage papier sera sans doute conditionné à partir de 2020 sur sa disponibilité sur différents supports. Le papier présente de nombreux avantages mais savoir que l’ouvrage existe aussi en numérique pourrait impacter nos acquisitions.
A ce titre nous nous attendons à retrouver les ouvrages les plus populaires sur les plateformes des éditeurs.
De même, il est possible pour un éditeur de prévoir une version électronique pour un ouvrage papier acheté avec insertion d’un identifiant unique sur la première page de l’ouvrage puisque c’est ainsi que procèdent certains éditeurs comme par exemple la Revue Fiduciaire. Il suffit alors d’enregistrer ce sésame dans nos catalogues de bibliothèque lors de son enregistrement.
Un petit sondage auprès de plusieurs documentalistes juridiques a montré quelques évolutions sur les dotations. Plusieurs tendances se confirment.
Les traditionnels et généreux
Offrent encore 2 codes + 1 mémento ou ouvrage au choix ; ceux qui en bénéficient ne mesurent peut-être pas leur chance ?
Les prudents et flexibles
Offrent 2 ouvrages au choix (code, mémento, traité)
Les numériques only
Ont déjà supprimé ou vont supprimer les dotations papier ; pression budgétaire, pression immobilière et crise sanitaire y sont pour quelque chose.
Et même si il y a plus d’exemplaires en bibliothèque, cette dernière tendance ne se fait pas sans heurt car beaucoup d’avocats évoquent l’outil papier comme un outil de travail indispensable.
Cette tendance du tout numérique pourrait bien se renforcer.
La gestion des abonnements numériques
A été un point crucial pendant la crise sanitaire. L’accès tout en étant sécurisé doit être facile (de préférence par reconnaissance d’adresse IP) car nous ne pouvons pas passer notre temps à répondre aux questions (j’ai perdu mon code d’accès); la collaboration avec l’équipe IT est primordiale afin que les mesures de sécurité renforcées ne nuisent pas aux accès aux bases de données numériques.
Les produits documentaires
La revue des sommaires
Pendant le confinement j’ai abandonné la version papier scannée que j’avais l’habitude de produire. Seule en poste, produire une version numérique à partir de notre logiciel documentaire me semble un peu trop « usine à gaz » ; en espérant que la veille fera oublier ce produit qui avait le mérite de mettre en avant une sélection éditoriale non dénuée d’intérêt.
En 2018 je posais la question, revue des sommaires, faut-il la conserver ? En 2020, je pense que la réponse est non.
La veille
A été l’activité phare de notre période de confinement. Large, pour couvrir tous les impacts de la crise sanitaire en droit des affaires ou spécialisée pour suivre l’impact d’une ordonnance pour une équipe, elle a occupé la plupart de notre temps.
Les documentalistes se sont retrouvés noyés sous un flux d’informations continu. Il a fallu faire le tri et sélectionner les sources pertinentes, réorienter les thèmes de veille si nécessaire, alimenter des cellules de crise en attente de sources primaires (si possible en exclusivité) et de commentaires (assez rares car tout allait très vite).
Certains utilisateurs ont pu contribuer à la veille en apportant leurs propres recherches au « pot commun ».
La plupart des éditeurs ont pleinement joué le jeu en mettant à disposition gratuitement leurs outils. Dans la vidéo Veille à la maison n° 6 du groupe veille ADBS, une documentaliste a même évoqué la notion de «période euphorisante ! » pour décrire la situation de l’accès illimité gratuit à toutes les sources.
Sans devoir gérer une bibliothèque physique, il était d’autant plus facile de se consacrer principalement à cette tâche numérique.
Avec le retour en présentiel sur nos lieux de travail, une actualité Covid-19 moins dense, et la fin des accès gratuits, il n’est pas certain que le même niveau de veille pourra être maintenu par tous les services même si nos avocats y ont pris goût !
Reste la question du livrable de veille que j’espère avoir le temps d’améliorer pour ma part en puisant quelques idées dans cet article :
Ils ont surfé sur la vague mais c’est de bonne guerre !
Le groupe veille de l’ADBS publie régulièrement de courtes vidéos interviews d’experts qui ont mis en place une stratégie de veille spécifique pendant le confinement. Des retours d’expérience, souvent autour d’un outil gratuit que l’on peut retrouver ici :
https://www.adbs.fr/, #veilleàlamaison
Archimag a remis en avant son guide des bonnes pratiques de la veille.
https://www.archimag.com/le-kiosque/guides-pratiques/gp-63/veille-fondamentaux/pdf
Les intranets documentaires et wiki
Se sont révélés plus que jamais utiles car en dehors du simple fait d’être de simples catalogues de bibliothèque (papier), se sont aussi de formidables bases de données documentaires numériques sur lesquelles on peut retrouver les liens vers les ouvrages numériques disponibles dans ce format, les documents obtenus de l’extérieur en format numérique, les supports de formation, parfois même des modèles ou notes internes selon la structure.
Certains ont profité de la crise sanitaire pour ouvrir des wikis où ils diffusent leurs conseils de recherche et de veille à distance.
C’est le cas notamment de Stéphane Cottin, Responsable Documentation du Conseil Constitutionnel qui dans la vidéo n°7 de l’ADBS Veille à la maison parle d’un wiki lancé avec l’outil de collaboration documentaire Confluence issu de la suite logicielle Atlassian.
La formation
La formation ou l’accueil des avocats et stagiaires s’est faite en visio-conférence pendant la période du confinement.
Ce format, souple et moins contraignant pourrait perdurer pour les formations de type présentation avec peu d’interaction d’autant plus que de nombreux outils de visioconférence ont fait leurs preuve pendant le confinement. Par exemple : présentation d’une nouvelle plateforme avant son lancement, étude d’un point de droit avec exercices de recherches sur une base de données documentaire en rapport avec ce point.
Attention toutefois, l’offre doit être alléchante (avec si possible déduction des heures de formation obligatoires) et de format court et ciblé. En effet, poste confinement, la vie des affaires reprend son rythme. Souvent, les avocats n’ont pas plus le temps (ni l’envie) qu’avant de « perdre du temps en formation » pour en gagner en recherche. L’indigestion de webinars nous guette.
Wilo a très tôt décelé ce problème, trop de webinars tue le webinar, et c’est valable dans tous les sens, relation fournisseur-avocat, relation avocat-client, relation Ordre-avocats.
L’auto-formation, la veille métier des documentalistes
A été grandement facilitée avec de nombreux fournisseurs ou prestataires qui ont joué le jeu en proposant des sessions d’amélioration, de révision ou de brainstorming autour de leurs bases de données.
D’autres ont permis les retours d’expérience entre documentalistes (cf. vidéos du groupe ADBS veille).
Il était aussi possible de se former sur de nouveaux sujets ou sujets d’actualité (ex. legaldesign).
En espérant que ce type de formation perdure dans le monde d’après.
La vie numérique et l’innovation
Les réseaux professionnels
Ont montré leur utilité en soutien moral, en innovation, en veille collaborative. Idéalement il fallait avoir déjà constitué un réseau avant la crise sanitaire pour le faire prospérer pendant et continuer de l’enrichir après.
La crise sanitaire aura pour certains amplifié les besoins de travail collaboratif car l’entraide était un élément fort de cette période.
Ceci dit, la vraie communication, le vrai réseau se construisent IN REAL LIFE. Quelques événements importants sont annoncés pour la rentrée, en espérant qu’un nouveau confinement ne bouleversera pas cet alléchant programme !
Voir notamment, le rendez-vous des transformations du droit annoncé pour novembre 2020 : https://transformations-droit.com/
Les innovations numériques
Et tout particulièrement celles qui permettent de mieux organiser le travail à distance mais pas que…
Intelligence artificielle infuse le monde du droit et se retrouve à l’origine de nombreux programmes, logiciels, applications qui ne sont pas uniquement des bases de données documentaires. Il peut s’agir en effet d’outils comme :
- les outils de communication instantanée (chat),
- les outils de gestion de projets,
- les outils de partage des connaissances,
- les outils de visioconférence,
- la signature électronique,
- les outils de closing en ligne,
- les outils de traduction,
- un outil de gestion des pièces d’un dossier,
- outils de compliance/conformité,
- les outils d’aide à la rédaction de contrat,
- les outils de gestion des données personnelles, etc…
Certains de ces produits qui facilitent la vie des avocats et juristes avaient déjà fait leurs preuves avant la pandémie; d’autres ont pu être testés pendant la crise sanitaire par opportunisme, par effet de recommandation, par volonté de profiter de cette période pour mieux s’équiper ou dématérialiser certains process.
Les legaltechs qui arrivent à démontrer l’utilité de leur service seront sûrement les grandes gagnantes de cette période.
Souvent le/la documentaliste peut avoir à jouer un rôle d’intermédiaire en coopération avec l’IT dans le test et la mise à disposition de ces outils. De nombreuses questions de sécurité, de compatibilité, d’organisation, de formation, de responsabilité ne vont pas manquer de se poser et devront être intégrées dans nos activités déjà riches de ces problématiques.
Pour conclure, je dirais qu’il est assez réjouissant de voir que les documentalistes ont réussi à maintenir la continuité du service auprès de leurs utilisateurs dans le respect des règles de sécurité et tout en faisant évoluer leurs pratiques.
De cette expérience, il restera sûrement des bonnes pratiques à pérenniser.
Voir aussi
Qui est Jean Carbonnier ?, édito de Nicolas Molfessis, JCP G, n° 24, 15 juin 2020
Dans cet édito le Professeur Molfessis revient sur la recherche en droit en période confinée et les conséquences sur nos pratiques futures. La numérisation parcellaire des sources doctrinales juridiques a pour effet de « sélectionner notre savoir » et d’engloutir une partie de notre patrimoine doctrinal, notamment ses auteurs les plus éminents qui n’existent pas en version numérisée.
Le numérique OUI mais le « gruyère doctrinal » NON !
Publié le 17/07/2020, modifié le 17 juillet 2020