Une interview de Marie-Ève Charbonnier
Au hasard d’un Tweet, j’ai lu une chronique littéraire de Marie-Eve Charbonnier, publiée sur son propre blog Les liseuses. En tirant sur le fil, j’ai compris qu’elle quittait le monde de l’édition juridique pour se lancer dans un nouveau projet.
Qui n’a pas rêvé, à un moment donné de sa vie, de choisir une autre orientation professionnelle ?
Quel est votre parcours ?
J’ai travaillé pendant 22 ans dans l’édition juridique, chez Lexis-Nexis, puis les éditions Dalloz. J’y ai exercé divers métiers, de « réviseuse » (relecture des textes sur le fond) à, en dernier lieu, directrice du développement numérique. Au passage, j’ai créé une dizaines de revues, en ai assuré la rédaction en chef, ai mis sur le marché des produits numériques. Bref… une vie professionnelle très variée et intense !
En 2018, vous avez décidé de changer de vie, pouvez-vous nous présenter votre projet ?
Parvenue à environ la moitié de ma vie professionnelle, j’ai dressé le bilan de ce que je faisais, ce qui me plaisait et me plaisait moins, et surtout de toutes les envies qu’il me restait à combler. J’aime être une passeuse de relais, une intermédiaire, et ça, je veux à tout prix le conserver. Mais je me suis rendue compte aussi que j’avais besoin de plus d’autonomie, et de créer, non plus une énième revue ou produit éditorial, mais une entreprise tout simplement. La mienne. L’idée de reprendre une librairie s’est imposée. C’est un rêve que je caresse depuis que je suis toute petite je crois, et j’ai l’impression d’enfin l’accomplir, avec aujourd’hui toutes les cartes en main, une maturité et une expérience qui le rendent possible.
Je souhaite reprendre ou créer une librairie généraliste qui soit à l’image de mon amour des livres. Immense, éclectique, et avec une très grande envie de partage. Cette notion est essentielle à mes yeux. Certes un libraire doit vendre, c’est le cœur du métier ; mais on vend mieux quand on est passionné et qu’on a envie de communiquer sa passion ! J’ai toujours aimé parler des livres, conseiller des titres, pas seulement ceux que j’aime, mais aussi ceux que je pense être les meilleurs pour tel ou tel, à tel ou tel moment. Je me suis beaucoup entraînée sur mes filles ! Je me délecte à leur mettre en main le livre parfaitement adapté à leur humeur ou leur envie du moment, en général je ne me trompe pas… et aujourd’hui, elles sont toutes les trois de grandes lectrices, avec des goûts variés.
Pour revenir à la librairie, après une enquête approfondie, il y a encore, de nos jours, de la place pour des librairies indépendantes, centrées sur l’accueil et le conseil adapté. Le physique sera toujours mieux que le virtuel. Un exemple parmi d’autres de cette vitalité, l’ouverture fin octobre à Paris, boulevard Poissonnière, de la plus grande librairie indépendante parisienne, Ici. Un dialogue, un conseil sur-mesure, personnalisé, sera toujours mieux qu’un simple « les lecteurs qui ont acheté XXX ont aussi acheté YYY ». Amazon n’est pas une fatalité ! D’ailleurs le libraire indépendant aussi peut commander des livres. Là où j’effectue mon stage en ce moment, il y a même dans des cas particuliers des services de portage à domicile, c’est dire à quel point la librairie peut faire mieux qu’Amazon…
Pour mettre toutes les chances de votre côté, vous suivez une formation. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je n’envisageais pas de me lancer dans le métier sans avoir un minimum de formation. J’ai déjà effectué cette année des petites « stages », ou plutôt journées d’observation dans des librairies, plutôt d’ailleurs pour conforter mon envie de me lancer que pour me former à proprement parler. Mais il me semblait indispensable d’acquérir aussi des bases théoriques. Il y a une formation à Paris, dispensée par l’INFL (Institut national de formation de la librairie), qui s’intitule « Créer ou reprendre une librairie », et qui donne les bases du métier. Les modules sont très vastes, de la loi sur le prix unique du livre aux modes de gestion, en passant par le merchandising et l’accueil du client. C’est très complet. Cette formation se poursuit sur le terrain, avec un stage d’au moins 15 jours. J’effectue le mien pendant un mois à la librairie La 25e heure à Paris 15e. Et je pense que je le compléterai par d’autres, en attendant d’avoir trouvé l’endroit où m’installer.
Quels sont les points communs entre l’édition juridique et votre projet ?
Le livre, ou plus généralement le support écrit (puisque dans mon cas, j’ai travaillé sur des Encyclopédies, des revues, ou des sites internet) est le fil rouge de tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. Dans l’édition, on est en amont, on travaille avec les auteurs, on élabore une réflexion sur le meilleur produit pouvant accueillir leurs écrits et satisfaire les clients ; en librairie il s’agit de vendre. Il me semble que la transmission en est le point commun. Il s’agit dans tous les cas de mettre entre les mains d’un lecteur final le meilleur produit, celui qui lui est le plus adapté. Le libraire est en bout de chaîne, il oriente et sélectionne, parce qu’il connaît son client, le livre ou produit qui lui correspondra le mieux.
Par choix, j’avais également envie de me lancer dans la littérature générale et de quitter l’univers du droit stricto sensu. Mais je reste très intéressée évidemment par le monde juridique, par goût et par mon entourage. Et tous les juristes que je connais, professeurs, avocats, magistrats, sont de très grands lecteurs !
Quid du blog les liseuses ?
A la base l’objectif de ce blog est d’être une vitrine. Afficher mon goût de la lecture et des livres, et surtout démontrer que c’est une passion familiale partagée. Par capillarité, si j’ai donné la passion du livre (avec leur père évidemment, grand lecteur aussi) à mes filles, il est cohérent de penser que je suis capable de le faire aussi avec d’autres qu’elles. Toujours en trouvant le bon livre au bon moment, adapté, et qui ne soit pas seulement pioché parmi ceux que j’aime.
Par ailleurs, je me suis prise au jeu, et j’éprouve un réel plaisir à écrire sur les livres que j’ai lus. Mes filles s’y mettent doucement aussi.
Et avec tout cela, du temps pour vos propres écrits ?
Les nuits sont courtes ! J’ai achevé un premier roman cet été, et en ai entamé un deuxième. J’écris tous les matins même si ce ne sont que quelques minutes. Mais comme beaucoup de choses, l’écriture est persévérance (voire acharnement) et patience…
Pour finir, que vous évoque le mot sérendipité ?
C’est un de mes mots préférés ! En plus j’adore le mouvement du surréalisme, parfait exemple de la sérendipité… Je chéris le hasard, me laisser porter par lui, et ce mot qui désigne la capacité à découvrir une chose par hasard est merveilleux. Sans compter qu’il a une sonorité magnifique. L’une des idées que j’ai pour ma librairie (mais je ne sais pas encore si ce serait réalisable en pratique…), serait justement d’y instiller un peu de hasard. Pourquoi pas par exemple, au milieu d’un pur classement alphabétique, laisser traîner un livre incongru, qui se rapproche de ses voisins sans raison, ou alors des raisons pas forcément visibles… Et que le lecteur serait heureux de rencontrer à un moment où il ne s’y attend pas. Chercher Le Guépard de Giusepe Tomasi di Lampedusa et tomber sur « L’art de la joie » de Goliarda Sapienza par exemple, quel bonheur, non ?
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Publié le 05/12/2018, modifié le 13 février 2024