On a parlé beaucoup de l’impact de l’IAG sur le droit, il y a un consensus sur le besoin d’expérimentation et de formation, néanmoins peu de détails sur quel type de formation et les compétences à développer. Dans cet article, assez long, je m’intéresse à l’évolution de l’offre de formation à l’intelligence artificielle ou intelligence artificielle générative pour l’ensemble des acteurs du droit qu’ils soient avocats, notaires, juristes, magistrats, documentalistes ou secrétaires.
1. Les formations pour les professionnels de l’information
Face à la transformation du métier de documentaliste, les documentalistes ou KM sont souvent les mieux avertis et les précurseurs des tests d’IA génératives dans leurs structures respectives.
Dès que l’on a parlé de l’IAG je me suis intéressée à l’offre disponible pour les professionnels de l’information et j’ai écrit cet article sur mon blog. L’évolution de notre métier est une de mes grandes préoccupations depuis l’origine du blog.
Voir article https://www.serendipidoc.fr/les-formations-en-ia-generatives-pour-les-professionnels-de-linformation/
En amont il est recommandé de soigner les bases de connaissance (GED, bases Sharepoint ou base de Knowledge) pour un corpus de qualité. On le sait, faire travailler l’IAG sur un corpus de qualité est le meilleur gage pour une IAG avec le moins d’hallucinations possibles. De ce fait, on peut espérer un renforcement du rôle des documentalistes juridiques et des KM lawyers dans l’administration de ces bases de connaissance.
Compétences
– art du prompt
– Qualification des documents versés dans la base de données interne pour un corpus de qualité, une tâche assez classique pour les spécialistes des bases de données que sont les documentalistes juridiques
– Benchmark des outils et services, pilote IA, veille concurrentielle, veille innovation technologie
– Qualités pédagogiques pour la formation à la recherche augmentée par l’IAG des avocats et jeunes juristes (stagiaires)
Nouvelles compétences des professionnels de la veille
A l’occasion du VeilleLAB Mercredi 29 janvier 2025 Véronique Mesguish a abordé le prompt engineering et les bibliothèque de prompts. Elle conseille aux veilleurs de créer des bibliothèques de prompts afin de mutualiser l’expertise dans leur réseau de veille le cas échéant. Elle leur conseille également de se méfier des exemples de prompts que l’on trouve sur le web car ils sont assez pauvres. Elle insiste sur la valorisation du savoir-faire interne. Elle intègre cette tâche dans les nouvelles compétences des professionnels de l’information.
Véronique Mesguish attire l’attention sur la nécessaire discrétion du veilleur qui doit rester vigilant dans ses prompts pour des raisons de gouvernance de l’information, de sécurité, de secret des recherches.
Comme dans toute révolution technologique, il y aura des risques de licenciements mais de nouvelles compétences vont émerger comme par exemple :
– créer des contenus de qualité,
– créer des chatbots, des services,
– faire du référencement nouvelle formule car l’IAG perturbe les fonctionnement des méthodes de référencement traditionnels.
2. Les formations pour les avocats, juristes, notaires
On passe d’un statut de recherche, idéation, rédaction à une fonction de relecture cela n’élimine pas pour autant les fondamentaux de la recherche et de l’analyse juridique ou les fondamentaux des matières liées au droit des affaires (ex. business English, legal English), toujours besoin de savoir relire une traduction pour corriger celle générée par l’IA.
Du temps pour plus de stratégie et d’innovations
« Notre humanité réside justement dans l’incalculable » Christian Fauré
Il faut veiller à ce que la formation se fasse par niveau (niveau débutant, niveau expert) afin que la personne qui pratique déjà les outils d’IAG ne perde pas son temps.
Déplacement vers plus de softskills ?
– Pensée visuelle, legal design, car l’IAG permettra de produire plus de contenu mais il faudra présenter ce contenu de manière attractive
– méthodologies d’analyse, créativité, curiosité
– conduite de projet (de transformation numérique)
– code informatique, programmation en « no code » (car même pour le no-code il faut un minimum d’expertise technique)
– supervision des algorithmes ou en analyse de données juridiques (data scientist)
– communication digitale, car l’IAG facilitera la production de contenu pour les réseaux sociaux par exemple
– techniques d’amélioration de l’expérience client, écoute active, empathie
– techniques d’efficacité professionnelle, de productivité, gestion du temps et du stress
– pédagogie
Compétences
– art du prompt
– softskills
– qualités pédagogiques pour la formation de la génération de jeunes stagiaires
Les témoignages
Fabrizio Papa Techera, Revue Lexbase avocat dossier spécial L’IA appliqué au droit, décembre 2024
« Je rajouterais un point clé : ne pas externaliser son « coeur de métier », à savoir le raisonnement juridique. Il est souvent dit que l’utilisateur de l’IA doit savoir « prompter » (ou poser une bonne question à l’IA) et vérifier la réponse de l’IA. Mais, ce faisant, on oublie l’essentiel : construire soi-même le raisonnement juridique et se l’approprier. Ce point sera d’autant plus important pour les nouvelles générations qui seront native IA. »
Philippe Goossens. – L’avocat de demain face à l’IA : des esprits penseurs plutôt que des machines à apprendre, Lettre Option Droit & Affaires du 8 janvier 2025
« Il faudra détecter et former les futurs talents en conséquence en sortant de cette logique de formation par spécialité que la technologie rend dépassée et mettre plus en avant une formation recherchant les capacités transversales permettant d’appréhender une question sous tous ses aspects qu’ils soient juridiques, économiques, psychologiques, sociologiques, etc., afin de mettre toute sa capacité humaine de conviction et d’influence au service de la défense et de conseil. »
Soraya Amrani Mekki et Mustapha Mekki. Tendances digitales – Avocat et Intelligence artificielle l’intelligence artificielle propose, l’avocat dispose –
Revue pratique de la prospective et de l’innovation n° 1, Août 2024, dossier 1
« La capacité fondamentale renvoie également à la maîtrise des matières et des notions fondamentales, en droit civil et commercial, car un mauvais avocat augmenté reste un mauvais avocat. Il faut conserver une formation rigoureuse et substantielle sur les fondamentaux du droit (preuve, obligations et droit patrimonial…). L’avocat doit pouvoir se passer de l’IA et la dépasser. Pour poser les bonnes questions, pour superviser le résultat de l’IA et pour penser autrement (stratégie, créativité…), l’avocat doit être un redoutable expert juridique. L’IA doit accompagner la formation « classique » des juristes et non s’y substituer. Il faut former les futurs juristes à la formalisation juridique des dires du client, à la formulation des questions pertinentes et à la reformulation des résultats fournis par la machine : formaliser, formuler et reformuler.
[…]
Sans exhaustivité, les soft skills désignent : la capacité d’adaptation à un environnement, l’écoute active, l’empathie, la capacité à avoir confiance en soi et à faire confiance aux autres, à travailler seul et en groupe, à gérer le temps et le stress, à se projeter, à anticiper, à questionner, la créativité et la curiosité, la motivation,… »
Des formations en amont dès l’école d’avocat
Clémentine Kleitz, Intelligence artificielle – Comment l’EFB prend en compte l’IA générative dans la formation des élèves avocats – Entretien par Clémentine Kleitz
Revue pratique de la prospective et de l’innovation n° 1, Août 2024, entretien 1
« Or, avec l’IA générative, l’on sait que les cabinets ne pourront plus facturer les recherches juridiques comme auparavant. Il convient donc d’orienter les stages en cabinet dans une autre direction, davantage tournée vers la stratégie et l’argumentation. »
Marie-Pierre de La Gontrie in Revue Lexbase avocat dossier spécial L’IA appliqué au droit, décembre 2024
« Par exemple, cela pourrait passer par l’intégration de modules spécifiques sur l’intelligence artificielle dans la formation initiale des juristes, avocats et magistrats, ou, pour les professionnels en activité, par des formations continues adaptées.
Ces formations devront être conçues en partenariat avec les écoles professionnelles, les barreaux et les institutions judiciaires, afin de répondre aux besoins spécifiques des différents métiers du droit.
[…]
Toutefois, si l’automatisation peut réduire la charge de travail sur certains segments et ainsi conduire à la suppression de postes, elle génère aussi de nouveaux besoins, notamment en termes de gestion et d’encadrement des technologies. Par exemple, des compétences en supervision des algorithmes ou en analyse de données juridiques deviennent de plus en plus importantes. Les cabinets et les services juridiques devront intégrer des profils hybrides, à l’interface entre droit et technologie. »
3. Les formations pour le personnel administratif juridique. Une bureautique beaucoup plus puissante
Le personnel administratif est mentionné dans le Rapport Sénat de décembre 2024
L’intelligence artificielle générative et les métiers du droit : agir plutôt que subir – Sénat, 19/12/2024
https://www.senat.fr/notice-rapport/2024/r24-216-notice.html
Rapport d’information n° 216 (2024-2025), déposé le 18 décembre 2024
Extrait des recommandations du rapport Sénat
– favoriser la montée en compétences des assistants juridiques au sein des cabinets, notamment en leur confiant des tâches de vérification des résultats de l’IA générative ;
– veiller à la formation de l’ensemble du personnel – et non seulement des professions juridiques – aux enjeux de l’intelligence artificielle générative ;
Il faut savoir aussi que tous les avocats et les juristes n’auront pas forcément d’appétence pour l’IA. Par ailleurs pour ce qui est de manipuler les dossiers, les pièces, les boites email des avocats, les secrétaires sont les mieux placé-e-s.
Quelques exemples de tâches
– vérification des résultats (par exemple : email)
– travail sur les documents internes, gestion des dossiers contentieux (Conversion PDF, renommage, tamponnage, bordereau)
– relecture des comptes-rendus numériques de réunion, synthèses
– qualification des documents versés dans la base de données interne pour un corpus de qualité
– création de contenu (PPT, infographies, images, communication digitale)
Compétences
– Art du prompt,
– Bureautique « augmentée »
– Communication digitale, legal design
4. Les formations des magistrats
Puisque l’intelligence artificielle impacte déjà les décisions de justice via les outils de jurimétrie, il est évident que les magistrats doivent être formés à l’impact de l’IAG sur la recherche et l’élaboration de la décision.
Compétences
– art du prompt
– justice prédictive ou jurimétrie
– softskills (voir ci-dessus)
5. Quels formateurs ?
Plusieurs options
– un organisme de formation (rattaché à un éditeur juridique)
Quelques exemples, liste non exhaustive
Lefevre Dalloz
https://formation.lefebvre-dalloz.fr/formation/intelligence-artificielle-ia
https://formation.lefebvre-dalloz.fr/formations/ia-et-prompt-engineering_701536
LamyLiaisons
https://formation.lamy-liaisons.fr/lamy/formations/droit-intelligence-artificielle
https://formation.lamy-liaisons.fr/lamy/formations/chatgpt-droit
EFE
https://www.efe.fr/formation/l-intelligence-artificielle-au-service-des-equipes-juridiques
– L’université
Pour un programme plus long et diplômant
Exemple ici avec le Diplôme d’Université Transformation numérique du droit & LegalTech, Université d’Assas
https://cfp.assas-universite.fr/fr/formations/offre-de-formation/diplome-duniversite-transformation-numerique-droit-legaltech
– Une école privée
Par exemple Avocats & IA – Optimiser la pratique tout en respectant l’éthique
https://ices.fr/formation/avocats-intelligence-artificielle/
– une société de conseil spécialisée dans l’accompagnement à la transformation numérique
– une société de communication juridique qui a ajouté un volet IAG à services
– un formateur en softskills pour le juridique qui a ajouté un volet IAG à ses services
6. Formation initiale et formation continue
Formation initiale
Idéalement il faudrait une formation initiale à l’IAG à l’université, à l’EFB, à l’ENM, dans les écoles de notariat, à l’ENADEP.
Je ne suis pas au courant de toutes les formations initiales mais je sais que l’EFB peut compter sur l’intervention de Romain Hazebrouck dans le cadre du lab EFB
Lab EFB, un dispositif favorisant l’innovation des élèves-avocats (novembre 2022)
https://www.village-justice.com/articles/lab-efb-dispositif-favorisant-innovation-des-eleves-avocats,44218.html
L’article est ancien. Il est certain que depuis les sujets de formation ont pu être adaptés à la prise en compte de l’IAG.
Formation continue
Pour les avocats, la formation continue est obligatoire sur la base de 20 heures par an.
https://www.avocatparis.org/services-de-l-ordre/formation-continue
Ce n’est pas nouveau mais depuis décembre 2023, le décret n° 2023-1125 du 1er décembre 2023 fait de la formation continue une condition d’exercice de la profession en instaurant la possibilité d’omission de l’avocat du tableau en cas de manquement à l’obligation de formation continue
Analyse de la réforme de la formation continue des avocats (janvier 2024)
https://www.village-justice.com/articles/reforme-formation-continue-des-avocats,48430.html
On imagine donc facilement que les formations y compris celles qui concernent l’innovation sont désormais valorisées dans le cadre de cet objectif de formation obligatoire.
Les catalogues des organismes professionnels de formation possèdent déjà des formations de ce type (voir plus haut quels formateurs ?)
Du côté de la magistrature, on trouve aussi deux types de formation continue sur droit et numérique.
Extraits du très dense catalogue de formation continue des magistrats 2025
https://www.enm.justice.fr/formations/magistrats
LA JUSTICE FACE AUX DÉFIS DU NUMÉRIQUE ET DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE Le numérique change nos environnements judiciaires en modifiant notre relation aux usagers et justiciables, en restructurant notre capacité à être informés, en transformant notre accès à l’information, en questionnant nos organisations et nos processus métiers et même en esquissant parfois des tendances dans nos décisions. A ces nouveaux enjeux s’ajoutent les nombreux défis posés par le recours à l’intelligence artificielle dans le domaine judiciaire.
DROIT ET NUMÉRIQUE : ENJEUX ET PERSPECTIVES Dématérialisation, Open data, automatisation du travail, algorithmes, vont modifier en profondeur l’accès à l’information juridique, l’organisation du travail au sein des juridictions ainsi que la production de la décision judiciaire. Le juge du XXIe siècle doit connaître et comprendre ces évolutions.
7. La formation des jeunes juristes ou stagiaires
La formation et l’utilisation des IAG par les jeunes juristes ou stagiaires semble encore controversée. Ils/Elles sont formées à l’EFB, ils/elles se serviront de ChatGPT version gratuite ou payante pendant leur stage pour certaines tâches sans données sensibles – on l’espère – mais il semblerait que cela soit encore tabou.
Pour autant, il est important de :
– clarifier la situation dans les environnements professionnels sur ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas à l’instar du feuillet de recommandation de l’EFB,
– d’inclure les stagiaires dans les processus de tests des produits d’IA générative,
– voir de pratiquer le reverse mentoring – bon je l’admets c’est un concept très révolutionnaire dans le milieu juridique ! Mais pourquoi pas ?!
(Le reverse mentoring, ou mentorat inversé, est une pratique où des jeunes collaborateurs, souvent plus familiers avec les nouvelles technologies, forment et sensibilisent les professionnels plus expérimentés.)
Conclusion
- Il faut certes expérimenter dans un cadre bien balisé (avec des outils professionnels) mais aussi être formé par des experts
- Il faut des formations initiales et continues
- Les pouvoirs publics (universités) et des sociétés privées (éditeurs juridiques, cabinets, entreprises) ont un rôle important dans la mise en place de cursus de formation
- La formation doit concerner tous les membres de la structure (avocats, juristes et personnel salarié) avec en ligne de mire l’évolution de tous les métiers juridiques
- Une attention particulière doit être portée aux jeunes juristes « digital native »
- Les fondamentaux du droit et l’esprit critique restent indispensables
- On s’oriente vers plus de softskills
- Attention au côté déceptif des IAG en cas de mauvaise compréhension du fonctionnement, mauvaise acculturation, mauvaise formation à l’art du prompt
Sources d’approfondissement utiles :
Intelligence artificielle – Comment l’EFB prend en compte l’IA générative dans la formation des élèves avocats – Entretien par Clémentine Kleitz
Revue pratique de la prospective et de l’innovation n° 1, Août 2024, entretien 1
Tendances digitales – L’impact de l’IA sur la formation des juristes – Etude par Pierre Berlioz
Revue pratique de la prospective et de l’innovation n° 1, Août 2024, dossier 3
Publié le 04/03/2025, modifié le 4 mars 2025